La
vie des ouvriers lors de la construction des voies
L’accueil de la population
Comment apparurent aux villageois creusois les chantiers de la voie qui allait traverser leurs champs, leurs prés, leurs bois ? Après les longues procédures d'expropriation des terrains qui, loin de satisfaire tout le monde, avaient rencontré souvent l'hostilité parmi les paysans propriétaires, il semble bien que la population dans son ensemble fit preuve, à défaut d'enthousiasme, de réserve et de curiosité.
Curieux et impatients, en effet étaient d'abord les artisans de nos villages travaillant les métaux (forgerons, serruriers, chaudronniers, taillandiers). Il leur tardait de voir circuler ces machines à vapeur productrices d'énergie transformée par des bielles et des pistons en mouvement de rotation.
Les différents corps de métiers
Mais avant de voir rouler les locomotives, les voies étaient à créer. Pour cela, tous les corps de métiers participaient à la construction ; les bûcherons chargés du déboisement préalable, la grande armée de terrassiers avec comme outils, la pelle et la pioche, les maçons, les carriers, les charrons, les peintres, les maréchaux-ferrants, les peintres, les bourreliers etc. …
A Saint Sébastien, le forgeron avait son atelier sur la petite route en cul de sac avant le pont de la décharge. Il était situé à cet endroit car l’eau du rio qui coupe le chemin était très pure pour tremper le métal. A son emplacement se trouve toujours le triangle de la forge.
La composition du chantier
Ces hommes, étrangers au pays pour la plupart, étaient hébergés dans des baraquements en bois montés à la hâte, aussi éloignés que possible des agglomérations ou des bourgades, car le voisinage avec la troupe des ouvriers était réputée difficile. Les camps étaient itinérants, ils se déplaçaient au fur et à mesure de l'avancement des travaux ; on a pu comparer un chantier à une armée en campagne. Dans les baraques on se logeait séparément par corps de métiers. Un camp pouvait comprendre plusieurs centaines d'hommes, jusqu'à un milliers. On y trouvait des dortoirs, des réfectoires et aussi des écuries destinées à héberger chevaux, mulets et couples de bœufs, de même que des ateliers pour l'entretien et la réparation des outils, de ferrage des animaux de trait, le cerclage des roues des chars, des tombereaux ou des brouettes. Cela supposait également, une baraque faisant office de bureau d'embauche et d'administration dans laquelle travaillaient ingénieurs, géomètres etc. … Il y avait aussi des fours de campagne où l'on cuisait le pain de tout le monde, et enfin, des cuisines roulantes comme celles de l'armée.
Certains ouvriers qui travaillaient à la construction habitaient sur place dans des cabanes en terre. Pour louer leur emplacement (souvent dans des bois de châtaigner "gorces") au propriétaire, ils se levaient tôt et ramassaient les châtaignes avant que les oies ne les mangent. Puis ils les amenaient au propriétaire qui en prélevait une partie. (témoignage oral).
L’alimentation
La ravitaillement était confié à un intendant qui suivait l'entreprise et à qui incombait la lourde tâche de nourrir chaque jour "la cohorte de travailleurs affamés". Pour cela, il faisait la tournée des fermes, afin de se procurer diverses denrées, tout ce qui se mangeait et qui n'était pas trop cher : pommes de terres, haricots, choux, viande de porc, vaches de réforme. La nourriture qu'on servait dans les cantines de chantiers était donc loin d'être satisfaisante, aussi le repos dominical était-il employé à se procurer de quoi améliorer l'ordinaire. On se répandait alors dans les fermes où se produisaient quelquefois des bagarres, des vols de volaille, et des chapardages.
La législation du travail et la protection sociale
La législation du travail était pratiquement inexistante et les mesures de protection contre les accidents quasiment nulles. Rien, ou à peu près , n'existait dans les premières années pour donner sur place, les premiers secours, ni les hommes compétents, ni le matériel approprié. Lorsque survenait un accident, on imagine dans quelles conditions un blessé pouvait être transporté à l'hôpital, souvent éloigné !
Il n'existait pas de protection sociale, les prestations maladies ou accidents du travail étaient inconnues. Il ne restait plus au malheureux blessé, qui avait eu la chance de ne pas succomber, qu'à rentrer chez lui, handicapé, mutilé, et survivre le restant de ces jours, misérablement, avec le maigre pécule que lui avait octroyé l'entreprise, le produit des collectes faites sur le chantier, et le secours de quelque œuvre charitable.
Les conditions de travail
La tâche de ces ouvriers était pénible et dangereuse et les moyens employés rudimentaires. Au travail de l'aube au crépuscule, par tous les temps, cinglés par le vent, trempés par la pluie, glacés par la neige, rôtis par le soleil, ces hommes menaient une véritable existence de forçats. Pour tenir, il fallait être robuste et d'une grande résistance à la fatigue. Il ne faut pas s'étonner si dans de telles conditions, la maladie décimait les chantiers.
Les plus redoutés étaient ceux des tunnels parce que les risques d'accidents étaient plus grands et la tâche plus pénible. Les mineurs piochaient à la lueur d'une mauvaise lampe à huile, redoutant un éboulement toujours possible et craignant d'être emportés et noyés par l'apparition soudaine et imprévue d'un jet d'eau provenant d'une nappe souterraine, brusquement libérée. Lorsqu'il s'agissait de creuser dans le rocher, le travail devenait plus harassant encore. Il fallait attaquer dans le rocher, au coin d'acier et au marteau, frapper sans relâche, des heures entières, torse nu dans la poussière et la chaleur étouffante.