La ligne Saint Sébastien/Guéret

Une fois ouverte la transversale Est-Ouest de Montluçon à Saint Sulpice Laurière le 4 Février 1865, on ne tarda pas à s'apercevoir qu'une liaison plus directe de la Préfecture de la Creuse avec Paris ne manquerait pas d'intérêt.

De là naquit l'idée de relier directement les deux lignes Montluçon-Limoges et Châteauroux-Limoges, par un tracé plus court évitant le détour par Saint Sulpice Laurière. Les adeptes de cette solution voyaient dans cette voie ferrée nouvelle le maintien des courants de circulation qui s'établissaient naguère, entre Châteauroux et Guéret, par voie de terre.

Mais ils ne furent pas écoutés et leur idée resta sans suite.

 

 

 

La définition des avant-projets

La première ébauche d'un projet de ligne de chemin de fer de Guéret à Saint Sébastien fut présenté en 1876 par les ingénieurs de l'Etat. Il s’ensuivit le dépôt d'un contre projet caractérisé par un tracé plus court de 5 à 6 km et desservant Saint Vaulry (aujourd'hui Saint Vaury), Fleurat, Naillat, Sagnat et Lafat.

Les études de lignes furent prescrites par les décisions ministérielles des 28 Mai et 26 août 1878 et les travaux d'études débutèrent immédiatement. La ligne fut inscrite sous le n° 94 dans le tableau du 25 Novembre 1878 de la loi de classement du réseau complémentaire pour la France continentale (Plan Freycinet). Elle fut numérotée ensuite 101 dans la nomenclature définitive.

Dès qu'il eut connaissance du tracé envisagé, le Conseil Municipal de Saint Etienne de Fursac fit connaître son désaccord. Le projet, selon lui, était destiné "à desservir les intérêts particuliers et privés". Il proposa d'y substituer une ligne de Bourganeuf à Le Blanc (Indre) par VielleVille et La Souterraine.

Le 5 Juin 1879, un arrêté autorisait les ingénieurs des Ponts et Chaussées à traverser les propriétés afin de mener à bien les études.

La présentation des avant-projets et les contestations

Les avant projets de ces études furent présentés le 6 Novembre 1879. La direction des chemins de fer y apporta quelques modifications et fixa le seuil maximal des déclivités de la voie à ne pas dépasser. Puis, le 12 Décembre 1879, l'enquête d'utilité publique fut décrétée avec deux projets soumis :

En Mars 1880, on enregistrait parmi les observations, celles des communes suivantes :

Les délibérations

En réalité, bien que deux projets seulement furent proposés à l'enquête, les délibérations portèrent sur trois itinéraires :

 

 

 

- Le premier partant de (ou près de) Saint Sébastien ou Eguzon passait par Lafat, Dun, Le Bourg d'Hem, Anzème et Guéret ; il fut repoussé à l'unanimité moins 1 voix.

- Le second partant des mêmes points, desservait également Lafat et Dun, s'orientait ensuite vers Saint Sulpice le Dunois et Saint Vaulry pour se raccorder à la Brionne à la ligne transversale Est-Ouest ; il fut repoussé à l'unanimité moins 1 voix. Il avait l’inconvénient d’allonger le parcours de 8 km et par là même, d’augmenter les dépenses.

- Le troisième proposé par les ingénieurs de l'Etat, partait de Saint Sébastien, desservait notamment Lafat, Dun, Saint Sulpice le Dunois, Bussière Dunoise, Les Forges et Guéret ; celui-ci fut adopté à l'unanimité moins 3 voix.

Le Conseil Général de Ponts et Chaussées ainsi que la Commission d'Enquête, ayant fait connaître leur préférence pour le troisième itinéraire, le Ministère des Travaux Publics donna son accord et décida que ce tracé serait le seul soumis à l'enquête définitive.

 

Les contre propositions

Malgré cela, les partisans d'autres itinéraires ne désarmèrent pas.

C'est ainsi que le 12 Mars 1880, la Chambre Consultative de l'arrondissement de Châteauroux fit part à la Préfecture de son souhait que la ligne nouvelle fut dirigée directement sur Châteauroux par Neuvy Saint Sépulcre.

La Société des Agriculteurs de L'indre proposa en date du 13 Mars 1880 un tracé peu différent du précédent, de Guéret à Châteauroux, par Aigurande et Cluis.

Le 24 Mars 1880, une variante du tracé unique soumis à l'enquête fut présentée par Monsieur Larombière. Il s'agissait d'un autre parcours à partir de Bussière Dunoise, par le col de Chatenet, Saint Vaulry, Les Forges et se raccordant à La Brionne. A la demande du Ministre, une étude rapide dut être effectuée et le 13 Avril, l'ingénieur qui en était chargé se déclara en désaccord avec cette proposition. Monsieur Larombière exposa son point de vue dans 2 lettres du 3 Octobre 1880 adressées simultanément au Ministre des Travaux Publics et au Directeur Général des Chemins de Fer. Il indiquait que le plan des chemins de fer tenait compte des anciens courants du trafic et qu'il fallait les respecter. En particulier, précisait-il, Guéret a entretenu des relations suivies avec l'Indre par 2 courants commerciaux aboutissant d'une part à Châteauroux, par les cantons de Bonnat, Châtelus et La Châtre, d'autre part à Argenton après avoir desservi Saint Vaulry, Dun et Eguzon. Par cette double voie, Guéret recevait des vins, les blés et les chaux du Berry. Il convenait donc de rouvrir ces axes à la suite d'un abandon partiel au profit d'autres relations.

Le 24 Avril 1880 s’engagea la discussion pour la déclaration d’utilité publique. L’évaluation était de 7 300 000 F y compris le matériel roulant.

Les débats au Parlement

Dans son rapport à la Chambre, le 8 Mai 1880, Monsieur Fourot approuva la thèse du gouvernement.

Lors de la discussion du projet de loi au sénat, le 16 Juin 1881, Monsieur Clément soutint un amendement dont l’objet était de faire partir la ligne de Châteauroux de façon à relier directement Guéret au centre de la France, l’augmentation de la dépense étant compensée par celle du trafic à prévoir.

Cette thèse fut combattue par Monsieur Cuvinot qui fit valoir les difficultés de terrain que rencontrerait ce chemin de fer, le peu d’importance de son trafic et de l’élévation des charges qui grèveraient le budget.

Monsieur Raynal, sous-secrétaire d’Etat, fit observer que cette question avait déjà été débattue lors du classement, et que si le Parlement avait renvoyé au Ministre pour étude, une ligne de Guéret vers Issoudun, comportant comme variante possible, le tracé réclamé par Monsieur Clément, il n’en avait pas moins décidé l’établissement du Saint Sébastien-Guéret.

Puis Messieurs Ninard et Brunet défendirent à nouveau le tracé par Saint Vaulry et La Brionne. Cette proposition combattue par Messieurs Cuvinot et Raynal fut rejetée à une voix de majorité.

Le choix final de la solution technique

Finalement, un projet unique, établi par les ingénieurs de l'Etat, fut déposé le 24 Juin 1881 et approuvé par décision ministérielle du 1er Octobre suivant.

Le représentant de la Société des Chemins de Fer, Monsieur Daigremont, donnait les explications techniques ayant motivé les choix. Il expliquait que le tracé retenu était d'une exécution facile et d'un prix de revient relativement peu élevé. Le raccordement à Guéret ne nécessitait pas de remaniement important, alors que, s'il avait été réalisé à la Brionne, les travaux auraient été beaucoup plus coûteux, étant donné que cette station est construite en remblai. Cette ligne nouvelle sera, disait-il, "le prolongement de celle de Bort à Felletin; elle doit être considérée comme étant d'intérêt général, faisant partie d'un réseau qui a pour but de relier Nantes à Marseille."

Monsieur Voisin, Maire de Saint Vaulry affirmait que le raccordement à la Brionne permettrait de réduire le parcours de 10 km et de desservir les deux chefs-lieu de canton : Saint Vaulry et Dun. Cependant ces arguments ne réussirent pas à ébranler la position des autorités.

L’ annonce officielle et les réactions populaires

Un arrêté du 18 Octobre 1881 désigna les territoires traversés ; il s'agissait des communes de Saint Sébastien, Crozant, La Chapelle Balloüe, Bussière Dunoise, Anzème, Saint Sulpice le Guérétois, Saint Fiel et Guéret. L'affichage officiel de cet arrêté créa, comme ce fut souvent le cas, quelques incidents. Les adversaires de la ligne, quels qu'en soient les motifs, restaient toujours en éveil, prêts à exploiter la moindre irrégularité pour tenter de contrecarrer le projet.

 

C'est ce qui se produisit notamment à Crozant, où l'affichage de l'arrêté sur les murs de l'église provoqua la fureur du curé. Celui-ci adressa une lettre de protestation au maire, demandant que l'affaire soit portée devant les autorités supérieures et terminait ainsi son exposé : "C'est fâcheux, c'est regrettable, cela pourrait passer dans les habitudes, alors l'évêque et Monsieur le Préfet s'en arrangeront". Evoquée dans un projet de convention technique avec le Paris/Orléans, daté de 1882, la concession définitive de cette ligne fut accordée à cette dernière compagnie lors des conventions de 1883.

La construction

La main d' œuvre employée à la construction fut surtout locale, c'est à dire limousine. Beaucoup d'ouvriers venaient du sud de la Creuse, d'autres étaient originaires des départements voisins : La Corrèze, l'Allier, les Charentes. On y rencontrait aussi une faible minorité de travailleurs venus de l'Isère et quelques autres d'Italie.

 

Chose excessivement rare, il existe pour cette ligne, des listes très détaillées des accidents survenus au cours des travaux de construction. Y figurent le nom des ouvriers, leur âge ou date de naissance, la date, la cause et la nature de la blessure. On peut ainsi dénombrer 29 accidents en 4 ans, dont un mortel, survenu le 10 Août 1883, à un Corrézien de 63 ans, à la suite d'un éboulement.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, le nombre des accidentés ne semble pas catastrophique. L'absence de souterrain sur cette ligne peut sans doute expliquer cette "relative sécurité", alors que le percement des tunnels était toujours très meurtrier dans le passé.

 

Au cours des terrassements entre Langledure et Saint Sulpice le Dunois, les entrepreneurs eurent la surprise de trouver une roche de granit bleu excessivement dure alors que les sondages préliminaires - sans doute insuffisants - avaient laissé croire à du tuf. Il fallut utiliser massivement la mine et des charrois plus onéreux ; l'avancement des travaux s'en trouva fortement ralenti et les coûts si largement dépassés que les frères Allary (Paul, Hippolyte et Louis), entrepreneurs - adjudicataires, se ruinèrent sur ce chantier.

L’ouverture

Après 4 ans de travaux, la ligne fut inaugurée le 16 Avril 1886 en voie unique et livrée à l’exploitation le 16 Août. Longue de 45 km, elle se situait exclusivement en Creuse, reliait le chef-lieu du département à Saint Sébastien, sur la ligne Paris Toulouse, par 9 points d'arrêts intermédiaires, soit 3 haltes (La Clavière, Langledure, Maison Feyne) et 6 stations (Saint Sulpice le Guérétois, Bussière Dunoise, Saint Sulpice le Dunois, Dun le Palleteau, Lafat, La Chapelle Balloüe). Les déclivités allaient de 12,5 à 20 ‰.

 

Le trafic

En Octobre 1886, on relevait 3 trains omnibus, toutes classes dans chaque sens. Le temps de parcours moyen était de 1 h 45 mn. Même physionomie au service d’été de 1937 avec 3 trains légers omnibus dans chaque sens qui mettaient 1 h 10 pour effectuer le parcours. Quant au trafic marchandises, il était assuré quotidiennement par un train (exceptionnellement deux) dans chaque sens. Les wagons de chaux, de paille, de charbon, d'engrais (superphosphates), de bois de châtaigner, et les foudres de vin constituaient l'essentiel des arrivages.

Les bouchers de Bussiére Dunoise comme ceux des localités non desservies par le rail, telles Saint Vaulry et La Celle Dunoise, expédiaient les viandes vers les halles de Paris. Partaient aussi par le train quelques colis d'œufs, de beurres et de fromages, des volailles, porcs, chevaux, bœufs, moutons, du bois, mais surtout de nombreux wagons de pommes de terres. La gare de Bussière Dunoise était, après la guerre de 14-18, l'un des centres d'expédition de pommes de terre les plus importants de France.

 

La fermeture

Le voyageur désireux de rallier Saint Sébastien depuis Guéret pût donc le faire par le train pendant 54 ans, jusqu'au 27 Juin 1940, date à laquelle la ligne fut fermée au trafic voyageur.

Cependant, selon des témoignages, un wagon voyageur fut ajouté aux trains de marchandises après cette date.

 

Le trafic marchandises se prolongea 12 années pour cesser, à son tour le 14 Mai 1950 sur le tronçon Saint Sébastien / Lafat, puis le 18 Mai 1952 sur le reste du parcours. La ligne fut déclassée le 12 Novembre 1954, déposée à partir du 16 Août 1955 puis remise aux Domaines le 11 Mars 1958.