La deuxième guerre mondiale

La débâcle et le rapatriement

Avec la débâcle de Juin 1940, les populations creusoises virent déferler le triste exode des réfugiés et des soldats de retraite. Dans les gares se succédaient les trains militaires, les trains de réfugiés, les trains sanitaires.

Les lignes de chemins de fer faisaient l'objet de mitraillages. C'est ainsi qu'un conducteur de locomotive de la ligne de Guéret, habitant Saint Sébastien, fut tué sur sa machine par un avion allemand maquillé en italien, sur le viaduc de Busseau Sur Creuse.

Lorsque cessèrent les combats, après l'armistice du 22 juin 1940, un problème immédiat se posa : le rapatriement des réfugiés. En Creuse, où un grand nombre de familles avait trouvé asile à la débâcle, le transfert intéressait des milliers de personnes. Il fallait faire vite car tout devait être terminé avant l'hiver. Encore une fois, des trains spéciaux furent mis en marche. De plusieurs gares creusoises, des convois bondés partirent vers la zone occupée. A la fin de l'année 40, le reflux tira à sa fin. Il ne resta plus dans la Creuse que les familles originaires de la zone interdite (Alsaciens et Lorrains) et les Israélites les plus avisés, qui avaient appris ce qu'il était advenu de leurs coreligionnaires demeurés dans les régions occupées.

Un peu plus tard, à partir de 1942, des convois furent constitués pour emmener de la main d'œuvre en Allemagne. La propagande allemande lança alors l'opération "Relève" tendant à recruter des volontaires pour le travail en Allemagne , en échange du retour de prisonniers de guerre. La population comprit rapidement que ce n'était qu'un marché de dupes.

 

Le rationnement

Les citadins les plus touchés par les mesures de rationnement se rendaient en fin de semaine dans les fermes creusoises en quête de ravitaillement. Venant de Guéret, de Limoges ou de Montluçon, les ouvriers des villes débarquaient au petit matin dans les stations de la Creuse et allaient frapper à la porte d'un cousin ou d'un ami. La bicyclette les accompagnait ; descendue du fourgon à bagages, elle leur permettait de poursuivre leur voyage jusqu'à la ferme la plus éloignée. Jamais, comme dans cette période, les employés des gares n'ont manipulé autant de vélos…

Depuis les régions vinicoles du Midi de la France, des gens venaient en grand nombre en Creuse, chercher du ravitaillement. Il transportaient avec eux, une ou deux bonbonnes de vin destinées à être échangées contre un sac de pommes de terres chez un paysan.

Les GVC et les requis

Le gouvernement de Vichy créa par la loi du 24 janvier 1941, la garde des voies de communication pendant les nuits, obligation à laquelle étaient soumis tous les hommes valides, à partir de 18 ans.

Les gardes-voies étaient munis d'un sifflet et d'une arme et devaient effectuer des rondes de surveillance le long de quelques kilomètres de rail. Les brigades de gardes portaient un uniforme noir et une casquette décorée d'une roue dentée.

Ils étaient accompagnés de requis, c'est à dire d'hommes d'astreinte, choisis parmi la population. Des listes d'hommes valides et des tours de garde étaient établis. Tous les soirs, le rassemblement avait lieu à la gare de Saint Sébastien et la répartition était faite. Pour eux, le plus souvent, la veille se bornait à casser la croûte, taper la belote et dormir sur un lit de paille ou de fougères dans une "guitoune" du bord de la voie servant d'abri aux cheminots.

Les attentats

Ces mesures n’empêchèrent pas le développement des attentats contre les voies ferrées par les maquisards. Les véritables opérations de ce genre débutèrent en 1943 à partir de Juillet sur la ligne Châteauroux à Limoges et se multiplièrent jusqu'à la libération.

Liste non exhaustive des attentats dans la région de Saint Sébastien

 

 

  • 31 Juillet 1944 : attentat au P.K. 329,400. Vers 1h30, la ligne a été détériorée par des explosifs à 600 mètres de la gare de Forgevieille. Six rails ont été découpés. Les fils téléphoniques ont été brisés et un pylône endommagé. La circulation a été coupée.
  • 1er Août 1944 : 30 individus ont enlevés les rails et traverses au P.K. 329 et les ont déposés dans les fossés du P.K. 329,300. Circulation interrompue.
  • 3 Août 1944 : opération de police à la suite du pillage de 2 trains de ravitaillement allemands immobilisés par un attentat commis le 13 Juillet.

 

De 1943 à 1944, les plastiquages paralysaient tout. Les Allemands constituèrent alors un train fortement armé, occupé par la troupe, devant lequel se trouvaient 5 ou 6 plates-formes. En cas d'explosion, seules ces dernières sautaient. Il n'y a avait plus qu'à remettre les rails pour repartir. Derrière ce train, plusieurs convois passaient à touche touche.

La technique de déraillement (par le chef du groupe Estienne d'Orves)

"Quelques échecs ont permis de mettre au point la bonne méthode pour obtenir des déraillements réussis, c'est à dire entraînant la destruction maximum des wagons, de la voie, de l'équipement électrique et l'arrêt le plus prolongé de la circulation.

Nous utilisons pour cela le matériel anglais parachuté ; il s'agit de bâtons de plastic, de cordeau détonant et de capsules à retardement. Nous recherchons les portions de voie en déclivité et en courbe. Nous allons y fixer, sur cinq mètres de voie au moins, cinq charges de plastic grosses comme le poing, plaquées contre le rail. Rail extérieur ou rail en courbe ? L'expérience nous enseignera la meilleure solution. Le cordeau détonant relie les cinq charges, permettant leur explosion simultanée. Il aboutit à une capsule ronde fixée au dessus du rail par deux griffes. La locomotive écrase la capsule. Deux secondes après, alors qu'elle est largement passée ce qui évite tout danger pour les conducteurs du train, les charges explosent, détruisant le rail sur une grande longueur et faisant dérailler les wagons de marchandises tandis que la locomotive continue, jusqu'à ce qu'ils se renversent et s'entassent les uns sur les autres dans un invraisemblable chaos tout en broyant les caténaires soutenant les câbles électriques. Bien sûr, nous prenons de grandes précautions pour ne faire dérailler que les trains de marchandises. Pour cela, nous consultons le chaix des horaires du chemin de fer et nous sommes renseignés par les cheminots des dépôts ou des sémaphores. Nous ne disposons nos charges qu'après le passage d'un train de voyageurs et longtemps avant le suivant. L'horaire des trains de marchandises nous étant quand même plus ou moins mal connu, il nous faut rester à proximité de la voie lorsque les charges sont placées, de façon à pouvoir ôter la capsule si l'heure de passage du train de voyageurs suivant devient trop proche.

Un grave inconvénient dans la technique : les locomotives ne sont pas détruites. C'est le prix payé pour ne pas risquer la vie des cheminots français."

 

"Le déraillement du train de pinard" d'après le récit d'un témoin

L'affluence est déjà considérable quand nous arrivons près du train déraillé, immobilisé par sa trentaine de wagons-foudres sortis des rails, tordus, soulevés et entassés les uns sur les autres, projetés contre les pylônes électriques, affalés dans le ravin de part et d'autre de la voie, emmêlés ou détruits dans un fouillis inextricable d'acier tordu, de gigantesques cercles de tonneaux arrachés et de fils électriques emmêlés au titanesque entassement du déraillement.

Presque seule en tête du convoi, la locomotive ne semble pas avoir trop souffert du sabotage. Les cheminots, cette fois encore ont pu être épargnés. Elle a l'air ridicule, cette machine, de se trouver arrêtée, là-bas dans sa course folle, après avoir traîné sur quelques dizaines de mètres les grandes citernes déraillées qui s'acharnaient à la suivre.

Avec l'inlassable patience de fourmis géantes s'attaquant à une bête morte, plusieurs centaines de paysans arrivés des fermes et des hameaux d'alentour, s'efforcent de recueillir le plus possible du précieux breuvage qui s'échappe des grands wagons disloqués. Il en survient de partout, sur tous les chemins, pressant un attelage ou poussant une brouette, munis de fûts, de bonbonnes, de seaux ou de lessiveuses. Des rigoles de vin ont envahi les fossés, au pied du remblai et ruissellent dans les prés en contrebas. Les sol en est déjà rougeâtre et détrempé.

Le spectacle est plutôt plaisant. Ici, un audacieux s'est glissé sous un amas de ferraille et, goulûment, applique ses lèvres tout contre la paroi fissurée et suintante d'une citerne. Là, avec un couteau, on s'acharne à en percer une autre qui a résisté au désastre. Bientôt, on se bouscule pour recueillir dans des casseroles le précieux jus de la treille dont on a tant été privé depuis cette sacré défaite de 40. Ailleurs, c'est à flots que le vin coule et les lessiveuses sont vites remplies. On discute, on crie, en s'interpelle joyeusement. On est en pleine euphorie.

Vers 10 heures arrivent les premières autorités : des inspecteurs du réseau ferroviaire, des gendarmes de La Souterraine, et puis, en voiture, des gradés de la Wehrmacht raides dans leurs uniformes galonnés et décorés ; avec eux, quelques civils, sans doute des sbires de la Gestapo. Décidément, l'affaire est d'importance. La foule est un moment impressionnée.

Les gendarmes s'efforcent de contenir la fourmilière humaine, de limiter le secteur où la récupération peut être tolérée. Des cris hostiles, des quolibets souvent lancés en patois fusent de partout. Les esprits sont surexcités, les têtes surchauffées par le gros rouge et le beau soleil d'été qui est de la partie.

Nos creusois forcent le barrage de police. Ils ne laisseront pas passer une telle aubaine et les voilà qui se précipitent à nouveau sur les réservoirs inépuisables entassés en barricade au travers de la voie. Le grouillement humain augmente d'intensité. la nouvelle a couru, comme une traînée de poudre, la commune de Bazelat, puis les communes limitrophes. On vient d'Azerables, de St Germain, de Vareilles, de Versillat, de Saint Sébastien, de Dun même, hommes et femmes, jeunes et vieux, en voiture, en charrette, à bicyclette, à pied, tous pressés d'être de la grande fête, offerte par le maquis.

 

Vers 15 heures arrivèrent les puissantes grues mobiles de Vierzon et de Brive, accompagnées d'un nombreux personnel qualifié qui, sous la conduite d'ingénieurs, va entreprendre sans empressement excessif, le dégagement des deux voies. Le travail est difficile. Il faut, dans cet enchevêtrement inextricable, découper au chalumeau les grosses barres d'essieux tordues, les cercles de foudres, les rails déchiquetés. Parfois, on doit aussi détacher les pièces soulevées par les grues afin de pouvoir rejeter de part et d'autre de la voie, en une masse informe, les reste d'un convoi qui n'arrivera jamais dans le grand reich allemand.

Peu après 19 heures, la voie descendante est dégagée. Les cheminots utilisent alors le matériel de remplacement amené sur plates-formes et, bientôt, l'express de Paris passera lentement, au milieu d'une double haie de spectateurs enthousiastes et survoltés. Les voyageurs, aux fenêtres des voitures, font des gestes de sympathie, mais les allemands dans les plus luxueux wagons hochent tristement la tête en découvrant le déraillement.

Et le convoi s'éloigne lentement tandis qu'on leur adresse encore maints quolibets. On fraternise, on crie, on chante. On s'emploie activement, s'aidant les uns les autres à remplir les récipients apportés, et puis, on boit à satiété, du blanc, du rosé, du rouge ; on veut goûter à tous ces vins qui ont chauffé toute la journée dans les foudres. Quand on en a assez bu, on s'en va, content. La belle nuit d'Août descend sur la foule en liesse et chacun s'en retourne, en trébuchant un peu, vers la ferme ou le village, emportant un précieux chargement de pinard qui sera d'un grand secours pour les durs travaux de la moisson.

Mais la curée n'est pas finie. Toute la nuit et le lendemain, on tirera des reste du convoi tout ce qu'il peut donner. Les grues et les chalumeaux mettront trois jours entiers à déblayer la voie montante de cette artère vitale pour l'occupant. On s'en souviendra longtemps, dans le Nord Ouest de la Creuse , du déraillement de ce train de pinard, le 13 Août 1943 à Forgevieille. L'événement fera date. " Bon dieu, diront nos paysans, c'était presque une fête nationale! ".